Témoigner du Christ mort et ressuscité: l'histoire d'un Chevalier
Serban Iclanzan (à gauche) le jour de l'Investiture
Venu d’un pays communiste
« Viens, je vais t’envoyer vers tes frères » (Genèse 37, 13). Lorsque l’on m’a demandé de témoigner de mon parcours jusqu’à mon adoubement, je me suis demandé en quoi mes déserts, mes joies, mes quêtes pouvaient porter à une conclusion ou à une démonstration. C’est donc intimidé que je rédige ces quelques lignes.
Mon histoire est celle d’un enfant né en Roumanie en plein milieu des ténèbres du communisme et de la République socialiste. Comme en Pologne, le communisme avait été imposé en Roumanie à l’issue de la Seconde Guerre mondiale par une élimination des élites : officiers, intellectuels, clergé… L’orthodoxie était tolérée, scrutée et étranglée par un pouvoir athée qui aurait voulu l’annihiler totalement. Pour les catholiques et les gréco-catholiques, en revanche, c’était confiscation, interdiction et prison…
Né d’une mère orthodoxe et d’un père gréco-catholique, je fus baptisé très vite après ma naissance dans une église du centre-ville de Bucarest. La seule « catéchèse », je la tiens de ma grand-mère maternelle. Tout en étant une orthodoxe fervente, elle m’a transmis des choses simples, mes premières prières et une conscience chrétienne au-dessus de nos différences : nous passions du temps à la cathédrale orthodoxe de Timisoara et nous nous rendions ensemble pour une prière à l’église catholique Saint-Antoine située à cent mètres. Nous entrions dans n’importe quelle église chrétienne de la ville sans que les différences entre les iconostases orthodoxes ou le baroque autrichien des autels catholiques matérialisent une frontière dans notre cœur. Nous étions chrétiens. Tout naturellement, le même peuple, la même famille.
En 1988, deux ans avant la chute du communisme, j’assistais avec mes parents dans un appartement de Baia Mare et en cachette à ma première messe gréco-catholique célébrée par un de mes grands-oncles, prêtre qui avait survécu par sa foi à quinze années de geôles communistes où il avait été jeté à cause de sa foi et de son rite. Absurde, incompréhensible…
C’est à partir de 1990 que j’ai vu mon père afficher enfin son identité gréco-catholique, saluée avec admiration par tous les orthodoxes de la famille. Une église avait même été restituée en ville. Je trouvais que mon cœur de chrétien découvrait une richesse de plus, mais en aucun cas une cicatrice, ni un mur de séparation. Me voici donc en adolescent de seize ans, heureux de vivre dans un pays enfin libre et de pouvoir voyager à l’étranger. En France, par exemple. À Taizé. Avec d’autres jeunes catholiques, gréco-catholique et orthodoxes de ma ville et après quelques semaines de préparation au Dôme catholique de ma ville. J’ai mis pour la première fois un mot sur ce qui était chez moi naturel et essentiel : l’œcuménisme. Taizé m’a rendu heureux. Taizé m’a rendu simple. À la même époque, à 60 kilomètres de chez moi, la Yougoslavie s’enfonçait dans une guerre qui n’avait pas de sens et qui divisait des chrétiens. J’en étais profondément bouleversé car j’avais des amis serbes et des amis croates.
Engagé dans la Légion étrangère
Mon histoire continue en France à partir de 1994 quand, jeune étudiant en droit, j’arrive à Toulouse et loge dans la résidence universitaire du couvent des dominicains. Je suis roumain et orthodoxe, mais je pratique à côté de mes amis français et catholiques. Participer à des conférences des frères dominicains, vivre leurs si belles homélies, remettre mes angoisses et mes espoirs à l’abri du Très-Haut lors de simples complies.
Je ne suis pas quelqu’un de docile, ni de rigoureux, mais je me sens en confiance et je ne rencontre que des mains tendues en signe de paix, d’amitié ou de fraternité. Je suis né chrétien, baptisé orthodoxe et je communie au sein de mon Église catholique, celle des dominicains. Le frère dominicain Jean-Bertrand Colas est un témoin de ce chemin. Je lui reconnais une forme de compréhension et de confiance qui est un modèle de tolérance et de fraternité chrétienne.
Arrivé en thèse de doctorat, j’abandonne tout et je m’engage dans l’armée, dans la Légion étrangère. J’avais choisi de mériter ma place en France. Je découvre une autre fraternité, celle des armes. Avec des camarades venus du monde entier… Une autre sorte d’œcuménisme, mais autant de destins et de chemins de croix. C’est lors d’une mission au Kosovo que je m’adresse au père Tournemine, aumônier du camp français de Novo Selo et je lui fais part de mon désir de conversion au catholicisme. Je le souhaite non pas au nom de la différence ou parce que je ne me sentirais pas à ma place en tant qu’orthodoxe. Je le souhaite au nom de si peu de différences, au nom d’une Église chrétienne unie dans mon cœur et parce que j’allais me marier et que je voulais que mes enfants plus tard ne se posent pas la question de la différence. Je cherchais une forme de sérénité, de plénitude. Je ne cherchais pas ma foi, mais juste mes frères.
De retour dans mon régiment en France, l’aumônier militaire n’accorda que peu d’intérêt à ma démarche. C’était navrant et quelque peu humiliant. J’en restais là.